Doux silences et sons précieux
Voici l’article numéro 3 sur 17 qui a été publié dans le magazine « Actu Environnement«
Chaque lundi, vous retrouverez un nouveau numéro qui sera diffusé sur le site.
Ces articles vous permettront de comprendre le travail des acousticiens.
Bien évidemment les membres de CINOV GIAC de notre région Languedoc Roussillon sont à votre disposition pour vous donner les solutions sur le terrain.
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Si vous le souhaitez vous pouvez lire ou relire l’article numéro 2
[button color= »blue » link= »https://www.cinov-occitanie.fr/cout-social-du-bruit-en-france-57-milliards-deuros-par-an-2017-09-18″ size= »big » align= »center » target= »_blank »]ARTICLE N°2[/button][/box]Les sons peuplent nos existences, nous informent sur l’environnement, nous procurent du plaisir, une gêne, peuvent détériorer notre santé ; ils participent aussi de notre équilibre au sens strict comme au figuré et à notre bien-être, mais la notion même de confort sonore est toujours étrangère à l’absence de sons. Il existe des laboratoires extrêmement isolés de leur environnement – chambres anéchoïques – pour mesurer finement les sons produits par les éléments à tester. Les sons y sont immédiatement amortis. Celui qui y entre peut expérimenter le malaise qu’engendre l’absence de bruit car la perte de repère est telle que même le sens de l’équilibre, dont l’organe est situé dans l’oreille interne, est affecté. La privation sensorielle conduit à l’enfermement et à la folie. Le silence se révèle d’ailleurs dans les micros bruits qui lui donnent son relief et son épaisseur. C’est une des grandes qualités acoustiques à laquelle nous veillons dans la conception des lieux, notamment, dans les salles de concerts.
Tout espace est « son » sur terre par nature
Le Canadien Robert R. Murray Schafer, professeur, chercheur et compositeur, a popularisé dès 1971 le concept de « paysage sonore » pour désigner notre environnement acoustique peuplé de sons naturels et de sons créés par l’action de l’Homme. Il propose d' »écouter le monde comme une vaste composition musicale… ». Il rappelle aussi qu’il n’y a pas eu d’âge d’or et que de mémoire d’homme tels que les écrits nous l’ont transmis, les sons d’activités humaines ont pu être des pollutions intenses. Imaginez les roues cerclées de fer sur les pavés des cités antiques !
Si les bruits d’origine anthropique, et particulièrement des transports, ont colonisé l’espace avec notre développement et s’immiscent souvent au premier plan de notre conscience auditive, la lente décrue et les transformations sonores auxquelles les acousticiens participent depuis des décennies dans nos lieux de vie, extérieurs comme intérieurs, nous procurent encore plus de matières pour penser les paysages et ambiances sonores, dans le souci de la qualité d’usage et du plaisir.
Aborder la dimension sonore d’un lieu, c’est intégrer une dimension dynamique, non palpable et invisible. Face aux sons instables et insaisissables, les propositions ne peuvent se limiter aux simples tentatives de réduction du bruit ou aux ajouts inconsidérés : le silence inquiète autant qu’il rassure et, dans bien des lieux, la musique de fond qu’on nous impose masque l’irrésolu. L’acousticien développe une pensée, propose une intention, fruit d’une expérience et d’une sensibilité pour concevoir des environnements sonores, où esthétique et confort sont rassemblés, et ainsi donner à entendre et permettre un mieux vivre.
Les exemples suivants, tirés de nos expériences de professionnels de l’acoustique architecturale et de l’environnement, illustrent où peut se nicher le confort sonore dans les espaces intérieurs (chez nous, au travail, dans les lieux de loisirs, d’apprentissage) comme en extérieur (jardin public, une rue, une cour ou une plage). A chaque lieu et à chaque activité son confort.
Subtiles cohabitations : les salles de restaurant
Le temps du repas est synonyme de partage et détente. La notion de confort sonore dans un restaurant ne peut être absence de sons tant il parait difficile de bâillonner les convives, ces incorrigibles bavards qui constituent les principales sources sonores des restaurants. Chacun d’entre nous a pourtant pu vivre un bon moment au restaurant dans une ambiance loin d’être monacale. L’équilibre entre le plaisir d’une conversation détendue, non contrainte, et l’intimité recherchée du cercle de la table tient d’une ambiance sonore maitrisée.
Illustrons donc comment faire émerger cette qualité sonore à travers une démarche analytique, une réflexion élargie, une démarche collaborative avec les acteurs du paysage sonore et une intention d’agir sur les éléments déterminants de l’inconfort vécu. La grande salle de restaurant d’un siège d’entreprise peut accueillir 550 convives en simultané et sert 1.250 repas par service. Elle est composée d’un beau volume (supérieur à 2.000 m3) d’un seul tenant avec l’espace scramble. Elle a été sagement dotée dès l’origine d’un faux plafond dit acoustique. Il s’est révélé être effectivement très absorbant, mais totalement insuffisant pour garantir un confort satisfaisant. Où diable se nichaient les raisons de l’ambiance sonore fatigante de ce lieu pourtant si apprécié pour les mets qui y étaient proposés ? A contrario, les salons de restauration attenants souffraient d’être trop… silencieux. Deux situations donc extrêmement contrastées nécessitant une approche sagace.
L’effet cocktail en cause : La démarche de l’acousticien fut pragmatique et, outre se faire inviter par le maitre d’ouvrage à partager un repas et l’expérience auditive des lieux en plein « coup de feu », elle a consisté en une séance élargie d’observations et d’écoutes des lieux et des pratiques, dès la préparation, la mise en place, puis pendant le repas, jusqu’au nettoyage de la salle.
Ecouter une histoire sonore pour en comprendre les ressorts a permis de préparer les investigations métrologiques. Alors seulement, notre analyse a pris de l’épaisseur et du sens et a permis d’entamer une réflexion avec le maitre d’ouvrage et l’architecte sur les pistes à explorer et leur hiérarchie. Pourquoi l’ambiance sonore est-elle si bruyante et le confort n’est-il pas au rendez-vous, alors que les investigations montreront que les descripteurs acoustiques habituels (durée de réverbération et décroissance spatiale) se sont avérés dans les « normes » ?
En l’occurrence, le lieu pâtissait du phénomène de « l’effet cocktail », qui voit le niveau ambiant dans un lieu où se regroupent plusieurs personnes qui conversent, s’élever progressivement et atteindre des valeurs très élevées. Ce phénomène de surenchère verbale se met en place instinctivement parmi les locuteurs pour se faire comprendre de leurs voisins. Comment prévenir ou minimiser son effet ?
Création de climats sonores différents : L’acousticien dispose de nombreux leviers au-delà de l’apport de simples traitements absorbants, rôle dans lequel on voudrait en vain le confiner. Le volume, l’organisation, l’aménagement et la densité de convives sont des paramètres majeurs de la future ambiance sonore, trop souvent hors de portée de l’acousticien à notre grand regret.
En l’occurrence, nous avons convaincu nos interlocuteurs de leur rôle, par une expérience d’agencement de tables et de mobiliers, toutes choses égales par ailleurs, qui a conduit à une réduction palpable de l’intensité sonore moyenne et à créer des microclimats appréciables. Les sons se propagent (vite) en 3D – diantre – et sans préférence pour la montée d’ailleurs ! La position optimale des zones absorbantes, isolantes, diffusantes, a donc pu s’apprécier par le calcul et remettre en perspective le rôle d’une décoration maladroite quant au confort des oreilles, tant l’influence d’un traitement mural localisé s’avérait prépondérant dans le cas d’espèce.
L’influence des autres bruits (préparation, service, lavage..) ont permis d’identifier des zones plus exposées à certains bruits parasites, de caractériser et hiérarchiser les sons et réduire certains très perturbateurs pour les conversations, qui alimentaient de proche en proche la surenchère verbale et conserver les sons cohérents avec l’ambiance sonore attendue d’un restaurant. Un travail à la source des bruits ou par mobilier écran, la prise en compte de besoin de climat sonore différent pour les mange-debout ou les grandes tablées ainsi qu’une réflexion jusqu’à l’impact sonore et la pertinence de l’amplitude du service ont été testés dans l’étude.
Nous avons pu par ces multiples actions réduire l’intensité sonore maximale de plus de 8 dB(A), ce qui est considérable et a été nettement perçu par les convives, mais aussi retarder l’apparition de l’effet cocktail et en diminuer la durée sur le temps du service. Effet indirect, les convives restent plus longtemps, ce qui pose un problème d’exploitation !
La problématique sonore des salons VIP découlait d’une réalité presque opposée : peu de convives, ambiance sonore feutrée car salon éloigné du self et des cuisines, ventilation très discrète. Le bruit de fond y était trop faible, agréable si une seule table était occupée, mais beaucoup trop calme lorsqu’une autre table s’installait. La clarté des messages de la table voisine procurait une gêne qui induisait une tendance à un niveau d’élocution contraint pour éviter à son tour d’être trop bien compris. Une absence de sensation d’intimité pourtant essentielle au confort sonore. Outre la réduction de la forte quantité d’absorption présente, une révision de l’agencement, un mobilier repensé, la réintroduction de sons dans cet espace pouvait redonner une certaine sensation d’intimité dans ces lieux.
Les commanditaires cherchent de plus en plus à conférer une identité sonore de leurs lieux qu’ils soient un restaurant, un magasin ou des bureaux. L’idée banale de la diffusion d’une musique d’ambiance, bien souvent contreproductive, ne pouvait convenir. Introduire un son naturel de type fontaine d’eau ou la diffusion de sons non signifiants ayant pour fonction de créer un fond sonore masquant une partie des conversations éloignées furent les pistes explorées par écoute.
Plus de bruit pour un meilleur confort : CQFD !
D’une friche urbaine à un espace sonore harmonieux
Le parc des Salisiers à Antony (Hauts de Seine) qui a été livré au public en 2014, fut l’objet d’un vrai travail de conception sonore concertée entre un acousticien et un paysagiste. L’enjeu de ce programme était d’habiter ce lieu en déshérence en bordure de l’autoroute A86 et de la voie de TGV et d’imaginer un jardin paysagé de quatre hectares. La réponse acoustique ne pouvait se limiter en une simple réduction du bruit. C’est pourquoi, en accord avec l’équipe de paysage, l’acousticien a proposé une logique de modelé de terrain permettant de créer des variations sonores en amplitude et en fréquence, mais également en dynamique. Faire que le site en lui-même soit un filtre sonore. Par ce modelé, le bruit de l’autoroute, continu et peu signifiant pour nos oreilles, est passé en dessous du niveau de la voix humaine (entre 57 et 62 dBA) et devient un fond sonore mélodique. Il se pose en contrepoint des sons émis par les jeux et activités des usagers, ou des sons naturels de la faune et du vent dans la végétation.
Parallèlement à cette intention d’amoindrir sans nier la présence des voies de circulation, l’acousticien a proposé grâce à son modèle 3D de propagation sonore et à son intention de créer des zones de contrastes, une logique pour définir les parcours, les aires de jeux et la localisation optimale des espaces de détente. L’expérience sensorielle de l’auditeur/écouteur sera unique, fluctuera dans le temps et l’espace. Il devient différent de celui d’une partition ou d’un programme. C’est par son cheminement qu’il génère une partition sonore à chaque fois différente selon son déplacement, les personnes présentes, la situation de la circulation sur l’autoroute mais également des saisonnalités. Cette approche sensible et délibérée a trouvé dans ce projet un écrin propice à la démonstration de la créativité du métier d’acousticien qui sort largement de l’image purement technique habituelle.
Didier Blanchard, Synacoustique et Stéphane Mercier, Peutz